Le 27 septembre dernier, la Cour suprême du Canada [CSC] dans l'arrêt A.B. c. Bragg Communications Inc. a accueilli la demande de A.B., une adolescente de 15 ans, "de procéder de façon anonyme dans le cadre d'une ordonnance obligeant [un fournisseur de services Internet [FAI] et de divertissement au Canada atlantique, à savoir Eastlink] à divulguer l'identité de l'utilisateur ou des utilisateurs [d'une] l'adresse IP" [31] en vue d'une action en diffamation.
L'adolescente a, en effet, "découvert que quelqu'un avait affiché un profil sur Facebook en utilisant sa photographie, une version légèrement modifiée de son nom et d'autres détails qui l'identifiaient. À la photographie s'ajoutaient des commentaires désobligeants sur l'apparence physique de l'adolescente ainsi que des allusions sexuellement explicites" [1]. Facebook "a fourni l'adresse IP associée au compte" [2] et, le FAI "a consenti à donner des renseignements plus précis au sujet de l'adresse [IP] si un tribunal l'autorisait à le faire" [3]. Dès lors, l'adolescente, par le biais de son tuteur, a présenté une demande préliminaire en vue d'obtenir une ordonnance en ce sens.
Dans cette ordonnance, elle déclare avoir "subi un préjudice et qu'elle cherche à minimiser le risque de préjudice supplémentaire" [3] et, par conséquent, elle sollicite "de la cour la permission de chercher de façon anonyme l'identité de l'auteur du faux profil ainsi qu'une ordonnance de non-publication visant le contenu du faux profil Facebook" [3].
Le FAI ne s'est pas opposé à la demande. Toutefois deux médias ont contesté "les deux demandes de l'adolescente, soit la demande concernant le droit de procéder de façon anonyme et la demande en vue d'obtenir une ordonnance de non-publication".
Les tribunaux inférieurs ont ordonné au FAI de "communiquer des renseignements sur l'auteur du faux profil Facebook". Toutefois, ils ont refusé que l'adolescente procède de façon anonyme et ne lui ont pas accordé l'ordonnance de non-publication car elle "ne s'était pas acquittée du fardeau de démontrer l'existence d'un véritable préjudice important justifiant la restriction de l'accès des médias" [5 et 7].
A.B. s'est donc pourvu devant la CSC en se fondant "sur ce qu'elle affirme être l'incapacité des tribunaux inférieurs d'établir un juste équilibre entre les risques concurrentiels en l'espèce, à savoir le préjudice inhérent à la divulgation de son identité par rapport au risque d'atteinte au principe de la publicité des débats judiciaires si [elle] obtient la permission de procéder de façon anonyme et d'être protégée par une ordonnance de non-publication. [Elle] plaide que si sa vie privée n'est pas protégée, les jeunes qui, comme elle, sont victimes de cyberintimidation à caractère sexuel refuseront de faire valoir leur droit à une protection et se verront en conséquence refuser l'accès à la justice" [10].
La CSC reconnaît l'importance du principe de la publicité des débats judiciaires et de la liberté de la presse [13]. Elle reconnaît tout autant "le principe de la vulnérabilité inhérente des enfants" [17] et, le fait qu'"un enfant n'a pas à démontrer dans le cadre d'une demande relative à la cyberintimidation à caractère sexuel qu'il se conforme à ce paradigme juridique. Le droit attribue la vulnérabilité accrue en fonction de l'âge et non du tempérament" [17]. Et, elle est d'avis qu'"il est logique d'inférer que la cyberintimidation peut causer un préjudice aux enfants" [20] et "que, si on lui refuse l'anonymat, l'enfant intimidé pourra s'abstenir d'engager une poursuite" [24].
Par conséquent, la CSC autorise l'adolescente "à procéder de façon anonyme à la recherche de l'identité de l'auteur de la cyberintimidation" [27].
Cependant, "dès lors que l'identité de A.B. est protégée par son droit de procéder dans l'anonymat, une ordonnance de non-publication du contenu du faux profil Facebook qui ne permet pas d'identifier A.B. [...] semble difficilement justifiable. La publication de ces renseignements n'entraîne aucun effet préjudiciable puisque ceux-ci ne révèlent pas l'identité de A. B. Le droit du public à la publicité des débats judiciaires et à la liberté de la presse prévaut donc en ce qui concerne le contenu du profil Facebook qui ne permet pas d'identifier A. B." [30].
Pour plus de détails, voir:
- A.B. c. Bragg Communications Inc., 2012 CSC 46.
Voir également le communiqué du CPVPC qui a été autorisé à intervenir au nom de A.B. devant la CSC pour faire "valoir qu’il faut établir un équilibre entre le droit à la vie privée et le principe de la publicité des débats judiciaires, particulièrement dans un contexte de cyberintimidation".
- COMMISSARIAT À LA PROTECTION DE LA VIE PRIVÉE DU CANADA, "La commissaire se réjouit de la décision de la Cour suprême qui reconnaît l'importance de protéger la vie privée des jeunes", Communiqué, 1 octobre 2012.
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