8 décembre 2013

Monaco: la CCIN et ses pouvoirs de contrôle

En vertu de la Loi n°1.165 relative à la protection des informations nominatives modifiée en 2008, la Commission de contrôle des informations nominatives (CCIN) de la Principauté de Monaco dispose d'un "pouvoir de vérifications et d'investigations nécessaires au contrôle de la mise en œuvre des traitements [d'informations nominatives, soit "la collecte, l'enregistrement, l'organisation, la modification, la conservation, l'extraction, la consultation ou la destruction d'informations, l'exploitation, l'interconnexion ou le rapprochement, la communication d'informations par transmission, diffusion ou tout autre forme de mise à disposition" (art. 1 al. 3 de la Loi n°1.165)]". 

Ce pouvoir est prévu au Chapitre III - Du contrôle de la régularité des traitements et, plus précisément à l'article 18 qui se lit comme suit:  
Art. 18 - La commission de contrôle des informations nominatives fait procéder aux vérifications et investigations nécessaires au contrôle de la mise en œuvre des traitements soit par ses membres, soit par des agents de son secrétariats, soit par des investigateurs nommés par le président sur proposition de la commission et soumis aux obligations prévues à l’article 5-1. Les agents et les investigateurs sont commissionnés et assermentés à cet effet.
Les personnes mentionnées au précédent alinéa doivent être munies d’une lettre de mission du président de la commission de contrôle des informations nominatives précisant expressément le nom et l’adresse de la personne physique ou morale concernée, ainsi que l’objet de la mission, pour accéder aux locaux de celle-ci, pour procéder à toutes opérations de vérification nécessaires, pour consulter tout traitement, pour demander communication ou copie de tout document professionnel et pour recueillir auprès de toute personne compétente les renseignements utiles à leur mission. 
La visite de locaux et les opérations de vérification sur place ne peuvent avoir lieu qu’entre six et vingt et une heures et en présence de l’occupant des lieux, du responsable du traitement ou de son représentant ou, à défaut, d’un officier de police judiciaire requis à cet effet.
À l’issue de la visite et des opérations de vérification sur place, un compte rendu est établi par les personnes mentionnées au premier alinéa. Un exemplaire est remis à l’occupant des lieux, au responsable du traitement ou à son représentant ainsi qu’au président de la commission de contrôle des informations nominatives. 
En date du 25 octobre 2013, le Tribunal Suprême a jugé que ce pouvoir été inconstitutionnel non seulement dans deux requêtes  en annulation de décisions de la CCIN contre un opérateur de télécommunications et hébergeur de sites Internet et sa filiale (décision 1 (maison mère) et décision 2 (filiale)), mais aussi dans un recours tendant à déclarer que la CCIN. a fait une interprétation restrictive et, partant, inconstitutionnelle de l’article 18 de la loi n° 1.165 (décision 3). 

Sur la validité de l'article 18 de la Loi n°1.165, on peut lire dans les trois décisions du Tribunal Suprême que: 
[...]
Considérant que l’article 19 de la Constitution dispose : « La liberté et la sûreté individuelle sont garanties. Nul ne peut être poursuivi que dans les cas prévus par la loi, devant les juges qu’elle désigne et dans les formes qu’elle prescrit. Hors le cas de flagrant délit, nul ne peut être arrêté qu’en vertu de l’ordonnance motivée du juge, laquelle doit être signifiée au moment de l’arrestation ou, au plus tard dans les vingt-quatre heures. Toute détention doit être précédée d’un interrogatoire » ; que la procédure instaurée par l’article 18 de la loi n° 1.165 n’affecte ni la liberté ni la sûreté individuelle ; que par suite le grief tiré de la violation de l’article 19 de la Constitution est inopérant ;
Considérant que l’article 22 de la Constitution prévoit : « Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale et au secret de sa correspondance » ; que les nécessités de la protection des droits et libertés des personnes impliquent de pouvoir diligenter des contrôles dans les locaux professionnels de personnes physiques ou morales afin de vérifier qu’elles respectent les dispositions législatives et réglementaires relatives à la protection des informations nominatives ; que les dispositions de l’article 18 de la loi n° 1.165 modifiée qui définissent les modalités de ce contrôle n’ont ni pour objet ni pour effet d’autoriser la Commission de Contrôle des Informations Nominatives à obtenir des personnes contrôlées des informations en méconnaissance des secrets protégés par la Constitution et par la loi, que par suite le grief tiré de la violation de l’article 22 de la Constitution est également inopérant ;
Considérant que l’article 18 de la loi n° 1.165 du 23 décembre 1993 modifiée relative à la protection des informations nominatives dispose : « La Commission de Contrôle des Informations Nominatives (cf. texte de l’article 18) » ;
Considérant que l’article 21 de la Constitution énonce : « Le domicile est inviolable. Aucune visite domiciliaire ne peut avoir lieu que dans les cas prévus par la loi et dans les conditions qu’elle prescrit » ;
Considérant que l’inviolabilité du domicile, protégée par l’article 21 de la Constitution, s’applique également, dans certaines circonstances, aux locaux professionnels où des personnes morales exercent leur activité ; qu’elle doit être conciliée avec les finalités légitimes du contrôle par les autorités publiques du respect des règles qui s’imposent à ces personnes morales dans l’exercice de leurs activités ;
Considérant que la faculté de mise en œuvre par une autorité publique de ses pouvoirs de visite et de contrôle des locaux professionnels nécessite des garanties effectives et appropriées tenant compte de l’ampleur et de la finalité de ces pouvoirs ;
Considérant que la loi n° 1.165 du 23 décembre 1993, modifiée par la loi n° 1.353 du 6 décembre 2008 créant la Commission de Contrôle des Informations Nominatives, autorité chargée de contrôler et vérifier le respect des dispositions législatives et réglementaires en matière de protection des informations nominatives et la dotant à cette fin de pouvoirs de visite et de contrôle des locaux professionnels a pour but de renforcer la protection des droits et libertés des personnes face à l’expansion des nouvelles technologies et aux atteintes potentielles inhérentes à leur exploitation ; qu’elle poursuit ainsi un but d’intérêt général ;
Considérant que les dispositions de l’article 18 de la loi n° 1.165 permettent à la Commission de Contrôle des Informations Nominatives d’accéder à des locaux professionnels en dehors de leurs heures normales de fonctionnement, en présence de l’occupant des lieux, du responsable du traitement ou de son représentant ou, à défaut, d’un officier de police judiciaire requis à cet effet, et lui confère des pouvoirs d’investigation étendus ; qu’en application des dispositions de l’article 22, 3°) de la même loi ceux qui volontairement empêchent ou entravent ces investigations ou ne fournissent pas les renseignements ou documents demandés peuvent faire l’objet de sanctions pénales ;
Considérant que, eu égard à l’ampleur de ces pouvoirs d’investigation et des sanctions pénales prévues par l’article 22, 3°) précité, en l’absence d’aucune des garanties évoquées dans la question jugée préjudicielle par l’arrêt de la Cour d’appel du 18 mars 2013, invoquée par la société requérante, ou de garanties équivalentes, les dispositions de l’article 18 portent au principe de l’inviolabilité du domicile consacré par l’article 21 de la Constitution une atteinte qui ne peut être regardée comme proportionnée au but d’intérêt général poursuivi par la loi n° 1.165 ; que par suite l’article 18 de la loi n° 1.165 n’est pas conforme à la Constitution; [...]
(Source: Décisions du Tribunal Suprême, 25 octobre 2013) 
 Suite à ces décisions, on peut lire dans un communiqué émis par la CCIN que: 
"[...] il convient de s’interroger sur les conséquences d’une telle décision à l’égard de l’ensemble des autorités et organismes administratifs disposant de pouvoirs d’inspection et de contrôle en Principauté. 
Pour l’heure, Monaco viole ses engagements internationaux.
En effet, il convient tout d’abord de rappeler que le Protocole additionnel à la Convention 108 du Conseil de l’Europe du 8 novembre 2001, rendu exécutoire à Monaco par une Ordonnance Souveraine n°2.119 du 23 mars 2009, oblige les Etats parties à conférer à leur Autorité de protection des données nationale « des pouvoirs d’investigation et d’intervention ». 
Par ailleurs, la CCIN n’est plus en mesure de répondre efficacement aux demandes d’entraide internationale adressées par ses homologues, sur le fondement des articles 13 et suivants de la Convention 108.
Ces manquements majeurs aux engagements internationaux pris par la Principauté sont susceptibles de mettre à mal l’obtention du label « protection adéquate » par la Commission européenne de l’Union Européenne, visant à favoriser les communications de données internationales vers Monaco. [Voir à ce sujet l'Avis 07/2012 du Groupe de travail de l'Article 29 sur la protection des données (WP198) et le billet du 17 septembre 2012)]
En effet, un tel affaiblissement des pouvoirs de la CCIN remet nécessairement en cause la protection des informations nominatives à Monaco, à l’heure où la Principauté souhaite attirer sur le marché des entreprises internationales à forte valeur ajoutée. 
Il va également à l’encontre des recommandations formulées par le Comité d’experts européens du Groupe 29 dans son avis du 19 juillet 2012 [Avis 07/2012], qui encourageaient Monaco à « renforcer les pouvoirs coercitifs dévolus à la CCIN en ce qui concerne le respect des dispositions légales par le secteur public et les mesures à imposer aux responsables de traitements qui ne respectent pas la loi indépendamment et au-delà des avertissements, mises en demeure et sanctions pénales prononcées par les autorités compétentes  (…) ». 
Toutefois, soucieuse de garantir par tous les moyens qui lui sont légalement conférés la protection des droits des personnes, la CCIN continuera de recevoir et de traiter les plaintes des personnes s’estimant victimes d’une atteinte à leurs droits et libertés fondamentales protégés par le Titre III de la Constitution.
Dans ce cadre, en application de l’article 19 de la loi n° 1.165, modifiée, les irrégularités constitutives d’infractions pénales relevées par la CCIN seront désormais directement adressées au Procureur Général pour suites éventuelles à donner."
Et, on peut lire dans un communiqué émis par le Gouvernement Princier que: 
"[...] Le Gouvernement tient enfin à faire savoir qu’il va procéder sans tarder à l’examen de l’impact législatif desdites décisions et, en particulier, de l’annulation de l’article 18 de la loi 1.165 sur la protection des données nominatives, modifiée. Il en tirera toutes les conclusions et prendra toutes les initiatives nécessaires pour y remédier." 
(Source: Communiqué du Gouvernement Princier, 29 octobre 2013)
À suivre donc ...

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